Le concept de continuité écologique est un outil d’aménagement durable du territoire, qui vise à ralentir l’érosion de la biodiversité due à l’urbanisation. En cause : la réduction des habitats naturels (en surface, comme en diversité) et leur morcellement. Il consiste donc à identifier un ensemble d’espaces naturels voisins, à préserver, renforcer ou restaurer pour permettre aux espèces sauvages de circuler sur le territoire et ainsi accomplir leur cycle de vie.

La reconnaissance des espaces favorables à leurs déplacements s’appuie sur différentes données scientifiques, mais il s’agit souvent d’un repérage théorique : la trame dessinée correspond à des itinéraires probables, pas nécessairement à des lieux de passage avéré de chacune des espèces ciblées. Cette nuance n’est pas capitale en zone rurale, l’objectif étant avant tout de fournir des critères de choix sur les espaces naturels à protéger et à reconnecter en priorité. Mais en milieu urbain dense, déjà peu propice à la faune et la flore, la présence et la continuité de lieux végétalisés font-elles vraiment la différence ?

Plusieurs études menées par des chercheurs du Museum National d’Histoire Naturelle apportent des éléments de réponse.

Des oiseaux qui préfèrent le « vert »

En 2007, Maxime Zucca et Romain Julliard capturent des mésanges et des fauvettes en Seine-Saint-Denis, les équipent d’émetteurs radio, puis les relâchent à distance, à une période où ces oiseaux sont territoriaux et cherchent généralement à revenir sur le lieu de capture. Ils suivent alors leurs parcours à travers la ville et les comparent à des cartographies d’occupation du sol.

Résultat : les oiseaux ne suivent pas un trajet aléatoire, mais privilégient des espaces végétalisés (friches, parcs, jardins, allées arborées, voies ferrées, terrains de sport…), chaque espèce ayant ses préférences. Par ailleurs, le degré de couverture végétale, mesurée à une échelle plus large, semble aussi orienter leur itinéraire.

Les infrastructures de transport, tantôt couloirs, tantôt barrières

Caterina Penone a étudié le rôle de corridors joué par les talus enherbés de voies ferrées. Elle a comparé la similarité des communautés de plantes, en fonction de la présence ou non d’interruptions (ponts, gares…) entre les sites de relevé. Deux sites étudiés partagent d’autant plus d’espèces qu’ils ne sont séparés par aucune interruption. Ceci démontre que la continuité des talus permet le déplacement des plantes de l’un à l’autre.

D’autres études, réalisées sur des papillons (capturés, marqués, relâchés à différents endroits puis re-capturés), ont analysé leurs déplacements. Si les voies ferrées ne gênent apparemment pas leur traversée, les routes jouent un rôle de barrières invisibles : la grande majorité des individus étudiés évitent de les traverser. Les hypothèses proposées supposent que la chaleur dégagée par le revêtement des chaussées et l’absence de végétation dissuadent les papillons de s’y aventurer.

La fragmentation : bien plus qu’une question de couleur

Pour mettre en évidence les effets de la fragmentation, Alan Vergnes s’est intéressé aux musaraignes, aux staphylins (des insectes volants) et aux carabes (des insectes rampants). L’abondance des deux premiers dans les jardins de proche banlieue parisienne dépendait directement de leur connexion avec des parcs. Les nombreux obstacles (routes, bâtiments, murs…) isolant certains jardins empêcheraient ces espèces de les atteindre. Quant aux carabes, ils étaient tout bonnement introuvables. Les habitats urbains sont pourtant favorables à leur développement, comme a pu le vérifier ce chercheur en relâchant des carabes (capturés en forêt de Rambouillet) et en suivant leurs déplacements dans les parcs, jardins et corridors urbains. Pour cette espèce, ce ne sont donc pas les conditions environnementales des espaces urbains qui empêchent leur colonisation, mais bien l’absence de continuité écologique avec les milieux ruraux.

Pour sa part, Clémentine Azam s’est penchée sur un obstacle encore peu pris en compte : la pollution lumineuse. Grâce à des capteurs à ultrasons disposés dans différents contextes du Gâtinais français (éclairage toute la nuit, extinction à partir d’une certaine heure ou aucun éclairage), elle a étudié la fréquentation des chauves-souris. Certaines espèces, comme les pipistrelles, profitent de la concentration d’insectes sous les lampadaires pour en faire leur garde-manger privilégié. Mais d’autres, comme les murins ou les oreillards, les évitent systématiquement et peuvent être grandement défavorisées par la présence de telles coupures dans leur territoire. Le fonctionnement des corridors écologiques suppose donc, pour ces chauves-souris mais aussi beaucoup d’autres animaux (nocturnes ou diurnes), de réserver des zones sans pollution lumineuse, et ce dès le crépuscule.

La réponse est donc OUI

Les continuités écologiques ont bien un sens et une importance certaine en contexte urbain, même très dense. La préservation de la biodiversité ne repose donc pas uniquement sur les épaules des communes rurales, les centres urbains disposent aussi de certains leviers et peuvent y contribuer.

 

Robin Chalot

 

Retrouvez les présentations de ces travaux en ligne :

http://www.natureparif.fr/agir/evenements-a-la-une/les-rencontres-de-natureparif/1552-2016-rencontre-continuites-ecologiques-en-milieu-urbain

http://www.natureparif.fr/observer/observatoires-et-suivis-naturalistes/journees-naturalistes/1534-7emes-rencontres-naturalistes-d-ile-de-france