Le mythe de l’urbanisation à biodiversité positive
« Avec ce projet, nous allons créer de la biodiversité là où il n’y en avait pas ! ». C’est par ce genre d’assertion que sont défendus aujourd’hui bon nombre de projets d’urbanisation, petits et grands, lorsqu’ils doivent justifier leurs atteintes à l’environnement. Sous prétexte d’aménager des « espaces de nature », beaucoup se targuent d’offrir plus d’opportunités à la biodiversité qu’ils ne lui en retirent en construisant.
Entre recherche sincère d’exemplarité environnementale et recours au greenwashing, la frontière s’estompe. Et risque, à terme, d’entretenir une confusion dangereuse auprès du grand public : l’urbanisation galopante est-elle, après tout, si gênante pour l’environnement ?
Le sol, ressource en voie de disparition
Rappelons tout d’abord un fait crucial : toute extension de la surface urbanisée cause des dommages irrémédiables sur l’environnement. Parmi eux, la disparition de sols de pleine terre, recouverts par des constructions ou des revêtements, qui détruisent leur organisation physico-chimique et biologique. Or il faut plusieurs centaines à plusieurs milliers d’années pour que quelques centimètres de sols se forment, s’accumulent et se structurent.
L’impression d’abondance, qui vient de la facilité avec laquelle nous nous procurons de la terre pour jardiner ou créer des espaces verts, est une illusion : ces matériaux sont prélevés sur des zones agricoles et forestières, appauvrissant ainsi d’autres espaces. Toute urbanisation supplémentaire est donc à considérer comme une perte nette de sols naturels, irréversible à échelle humaine.
L’espace serait-il infini ?
Un argument est souvent avancé pour dédouaner des projets urbains de leur incidence sur l’environnement : ils prennent la place de parcelles agricoles en gestion intensive, sans intérêt (voire dommageables) pour la biodiversité. Pourtant, il ne suffit pas de faire disparaître une activité agricole pour éliminer du même coup les raisons de sa présence. Ces parcelles répondent à des besoins (production de denrées alimentaires, de matériaux…) qui perdurent et devront bien être pris en charge ailleurs, en rognant sur des milieux naturels ou en intensifiant davantage d’autres espaces cultivés.
L’argumentaire de ces projets urbains, si prompt à blâmer les pratiques agricoles intensives, prend rarement en compte la délocalisation de ces dégradations. Pas plus qu’il ne s’étend sur l’avancée du front urbain et des nuisances qu’il génère sur les espaces voisins, les dégradant à leur tour.
Qualité versus quantité
Pour éviter la perte nette d’espaces disponibles aux écosystèmes, il faudrait a minima compenser les nouvelles urbanisations par la désartificialisation de secteurs déjà bâtis. Mais à l’heure actuelle, dans la quasi-totalité des cas, la compensation se fait en améliorant la qualité de milieux naturels jugés écologiquement pauvres ou dégradés. Comme si quantité et qualité étaient deux aspects interchangeables d’un même « capital biodiversité ».
Certes, ces opérations de restauration permettent de retrouver des types d’écosystèmes peu fréquents et/ou fragiles, qui jusqu’à présent n’ont fait que péricliter par négligence et ignorance de leur valeur environnementale. Néanmoins, elles n’effacent en rien la perte d’autres milieux, qui pénalise des espèces différentes et menace, à terme, la pérennité de leurs populations.
Une question d’honnêteté intellectuelle
Mais au fait, est-il vraiment pertinent d’attribuer à un projet d’urbanisation les bienfaits apportés par des mesures de compensation qui lui sont imposées ? Deviendrait-il lui-même « neutre » ou « bénéfique pour la biodiversité », alors que l’objectif initial est bien de construire davantage ?
Il ne s’agit pas ici de rejeter par principe la compensation écologique, dont la nécessité est une évidence indéniable. Le nombre de nos concitoyens et leurs besoins continuent d’augmenter et il serait inconscient de ne pas chercher à les satisfaire : cela signifie que des consommations d’espace seront encore inévitables pendant les années à venir. Aussi, il est de la responsabilité des politiques publiques de fixer des objectifs ambitieux, pour pousser les porteurs de projet à limiter au mieux les dégradations environnementales.
Néanmoins, il est urgent de reconnaître pour ce qu’ils sont les impacts de l’urbanisation, afin de prendre la pleine mesure des menaces (climatiques, écologiques…) qui nous guettent. Ne les masquons pas derrière un discours trompeur, qui donnerait à croire que des espaces bâtis par l’Homme sont plus « écologiques » que ceux qui nous ont précédés. Soyons honnêtes sur leur ampleur et leur gravité, pour se poser en toute bonne foi la question de leur nécessité.
Robin Chalot