Le Partenariat Public Privé, une nouvelle ère pour le logement social aussi ?
Depuis le milieu des années 2000, les Partenariats Publics Privés (PPP) se développent en France, pour réaliser des grands équipements de sports et loisirs, mais aussi des hôpitaux, des prisons, le ministère de la Défense… Dans le domaine de l’habitat aussi, l’alliance entre le public et le privé a fait son apparition, principalement avec la possibilité de produire des logements sociaux en Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (VEFA). Une pratique désormais ancrée dans le paysage, mais qui n’est pas sans poser de questions.
À coup de lois successives(1), l’Etat a encouragé la décentralisation des politiques de l’habitat. Parallèlement, il s’en désengage financièrement, notamment en rabotant les aides à la pierre pour la construction de logements sociaux. Dans le même temps, il a pourtant durci les obligations de productions de logements sociaux(2) pour les collectivités.
Sous diverses pressions, les collectivités et leurs partenaires doivent donc trouver les moyens de produire du logement social autrement. L’appui sur le secteur privé est une des solutions : possibilité de production de logements locatifs sociaux en VEFA, en usufruit locatif social, procédure de conception-réalisation pour les logements locatifs sociaux… L’objectif étant de faire plus, plus vite, en mobilisant moins d’argent public.
En 2013, un quart des logements sociaux produits l’ont été en VEFA, contre 1% en 2005. Une progression rapide et même fulgurante dans certains territoires tendus : plus d’un logement sur deux au Pays Basque. Si l’ampleur du résultat de cette disposition n’avait pas nécessairement été perçue, cela est aussi en un sens une aubaine pour les communes : plus besoin de s’engager dans une stratégie foncière complexe et coûteuse, la promotion privée répondant favorablement à l’application des secteurs de mixité sociale des documents d’urbanisme. S’ils n’ont d’autres choix que de s’y soumettre pour produire sur les zones concernées, les promoteurs restent motivés si tant est que le contexte territorial soit attractif. Ils s’arrangent entre réduction de marge, négociation accrue lors de l’acquisition du foncier et augmentation des prix des autres logements privés.
Le résultat est là, tant en volume que sur la qualité de l’offre produite (en tous cas sur la côte basque que nous avons eu l’occasion d’étudier précisément). La généralisation de cette pratique a contraint les acteurs au changement : les promoteurs sont désormais partie prenante de la production sociale, les bailleurs sociaux se réorganisent… pour le mieux, semble-t-il. Mais cette évolution majeure interroge plus fondamentalement sur le maintien de la maîtrise publique du développement territorial et sur la garantie de cohésion sociale.
S’il faut désormais se reposer sur la dynamique privée, alors les logiques d’exclusions risquent de s’accroître, qu’il s’agisse de territoires non attractifs pour le privé ou de certaines catégories de ménages. Certes l’Etat, ou demain les collectivités, seront les vigies et régulateurs de ce système, mais jusqu’où et jusqu’à quand ? Et, au fond, est-ce là le rôle que l’on souhaite pour les collectivités ?
A plusieurs niveaux, les observations que l’on peut faire de la production des logements sociaux en VEFA rejoignent celles faites sur les Partenariats Public Privés pour la création d’équipements : accentuation du monopole des « grands » du BTP, perte d’expertise et renoncement à la maîtrise d’ouvrage publique… Cette ouverture grandissante de l’aménagement, et plus largement des prestations d’intérêt public au privé, est-elle le symbole de l’affaiblissement de la puissance publique ou au contraire une preuve d’intelligence et d’adaptation de celle-ci au système complexe actuel ?
C’est sur cette évolution de fond que les élus doivent être interpellés et se positionner, au-delà de la seule logique de résultat à court terme.
Claire Philippe et Cécile Bouclet