Quand la ville bouge (vite) sous nos fenêtres – épisode 1
Nous évoquons, au quotidien, dans nos missions le renouvellement de la ville sur la ville, les mutations foncières, les changements de destinations, les restructurations urbaines.
Or, depuis plusieurs mois, nous sommes les riverains attentifs de la mutation d’un vaste terrain occupé jusqu’en 2010 par des bâtiments tertiaires et industriels des laboratoires SANOFI.
Nous souhaitons partager nos réflexions et commentaires sur ce changement urbain, dans une série d’articles à travers lesquels nous allons suivre et commenter le processus d’évolution. Pour entamer notre « suivi de chantier », un premier thème s’impose : celui du rythme de mutation des paysages urbains.
Par mon ancienneté dans l’entreprise, je suis aujourd’hui témoin de la deuxième mutation de ce site, ayant déjà connu un précédent changement radical dans les années 1990. Soit deux mutations profondes en vingt ans !
Au début des années 1990 – je pourrais dire « à la fin du XXème siècle » – ce terrain était encore constitué d’un parcellaire de maisons modestes, typiques de la banlieue parisienne de l’entre-deux guerres, avec des terrains en lanières et jardins.
La première mutation en a fait une seule unité foncière, totalement et densément mobilisée pour la construction de plusieurs bâtiments regroupant des entités de SANOFI jusque-là réparties sur plusieurs sites. A l’époque, avait subsisté un petit terrain d’angle que le propriétaire occupant avait refusé de vendre. Cette première transformation ne fut pas une surprise, mais un phénomène que notre équipe d’urbanistes avait considéré comme normal et attendu, à deux minutes à pied de la gare Bagneux-Pont Royal sur la ligne B du RER, à une vingtaine de minutes du cœur de Paris. La valorisation d’un emplacement très bien desservi et au tissu urbain ancien et peu qualitatif était dans l’ordre des choses.
En revanche, la surprise est survenue en 2010, quand SANOFI a décidé de quitter ses locaux, une quinzaine d’années seulement après son investissement… Cette décision n’était probablement pas fondée seulement sur la durée d’amortissement du site même, mais sur des logiques économiques de groupe de rang mondial. Ce statut particulier du propriétaire occupant explique sans doute l’échelle de temps si resserrée. Une opération de logements n’aurait pas muté aussi vite, la rentabilité et l’amortissement s’étalant sur des périodes plus longues, et la gestion des occupants étant beaucoup plus complexe que des salariés à déplacer sur d’autres sites.
Nous nous sommes posés la question du devenir de ces bâtiments : étaient-ils transformables en logements ? Nous ne doutions pas de leur commercialisation si près du RER…
Intéresseraient-ils une ou plusieurs autres entreprises ? La réponse était moins évidente, à la lumière de l’offre importante de bureaux neufs à louer ou vendre dans le secteur et qui semble avoir du mal à trouver (rapidement) preneurs…
Elle a mis six ans à venir, six ans pendant lesquels le site est resté privé, inoccupé et gardienné, six ans d’échanges entre le propriétaire, des aménageurs et la ville de Bagneux, le positionnement stratégique du terrain attirant, à juste titre, l’attention de tous.
Ainsi, le récent Plan Local d’Urbanisme de la commune le cible comme site d’opération mixte : un bâtiment est conservé en vue d’une requalification à vocation tertiaire ; les autres sont tous rasés, parking en sous-sol inclus, en faveur d’un programme de 180 logements collectifs, d’une résidence étudiante de 190 chambres et de 300 m² de jardins partagés. Une nouvelle voie publique et un cheminement piétons-vélos dédiés traversants sont également prévus.
De quoi changer radicalement la vie du quartier. Et rapidement ! Ces bâtiments faisaient partie des plus récents du secteur et donc de ceux qu’inconsciemment, chacun estime comme faisant partie du paysage pour encore quelques temps : 10 ans ? 20 ans ?
Cela relativise le poids que l’on peut attribuer à l’inertie des mutations et conforte l’idée d’élargir le champ des possibles quand on travaille sur les évolutions des tissus urbains existants.
Il ne s’agit pas d’ignorer les critères économiques à prendre en compte dans des scénarios d’évolution, mais au contraire d’anticiper le fait que la ville peut bouger demain, là où les élus ne s’y attendent pas aussi vite. Et c’est justement le critère économique qui prend le pas : cela se produit parce que c’est rentable, y compris en incluant le coût de démolitions lourdes.
Cela nous conforte dans notre façon d’accompagner nos maîtres d’ouvrage, en particulier dans la production de plans locaux d’urbanisme : les règles à mettre en place doivent bien accompagner une vision d’avenir, et pas seulement la prise en compte de ce qui existe à ce jour.
– A suivre…
Catherine BROWN