Nouveaux usages de la petite reine : le free floating sur la sellette ?
Ils sont verts, jaunes ou orange et sont dotés d’un pédalier qui fait travailler les gambettes. Ils envahissent les rues de Paris, Lyon ou Tours et considèrent les seuls possesseurs de smartphones. Mais que sont les vélos en free floating ? Comment peuvent-ils, sous le regard incrédule de leurs cousins Vélib’ et Vélo’v, déferler dans nos villes et tenter de faire passer les systèmes à borne pour démodés ? Comment s’insèrent-ils dans l’espace public ? A quelles difficultés font-ils face ? On fait le point.
Créé par deux étudiants japonais en 2014, le modèle économique du free floating repose sur un libre usage de l’espace public plutôt que sur la privatisation de lieux dédiés à un usage particulier. En termes de mobilité, il s’applique à la location de vélos (ou de scooters) dans les centres-villes. Via une application, les utilisateurs géolocalisent les deux-roues présents dans leur secteur, les déverrouillent via un code et peuvent ensuite réaliser le trajet de leur choix dans la zone prédéfinie (en général, la ville centre de l’agglomération et éventuellement tout ou partie de certaines villes alentours). A la fin du trajet, fort de son bol d’air en milieu urbain, l’usager heureux reverrouille le deux-roues, entraînant automatiquement la fin de la location et le calcul du coût d’utilisation (établi à la minute). Différence avec les systèmes traditionnels : pas de borne ni d’emplacement prédéfini. L’usager (dé)laisse donc son moyen de transport où il le souhaite sur l’espace public, en théorie « dans un espace prévu à cet effet », en pratique, souvent ailleurs. Plus tard, un autre usager utilisera le même deux roues pour un autre trajet, une autre histoire…
Contrainte pour les opérateurs ? A priori, aucune. Redevance pour occupation de l’espace public ? Pour l’instant, aucune. Certaines collectivités comme Nantes Métropole ou la Ville de Toulouse ont été approchées par des opérateurs. Si cette concertation est bénéfique pour tous, les élus ne peuvent s’opposer à la mise en place du service. En attendant la création d’une licence d’opérateur de mobilité, sur le plan réglementaire, c’est en effet le vide juridique qui s’applique.
Pourtant, c’est bien sur les trottoirs, les places, et parfois dans les arbres ou au fond des rivières qu’on retrouve ces deux roues. L’absence de bornes, c’est l’absence de contrainte quant au choix du lieu de stationnement. Si c’est un atout du système, c’est aussi une de ses limites, compte tenu de l’intérêt relatif des utilisateurs de l’espace public pour sa propreté et son organisation. Au-delà de la question de la saturation matérielle des espaces de circulation, celle du civisme est aussi fondamentale. Dans de nombreux cas, on retrouve en effet ces vélos sans borne ni maître dans des espaces inadaptés à cet usage. Au mieux, un délaissé de trottoir où il ne dérangera presque personne. Au pire, un espace de circulation qui le voue à être détesté des piétons dont il barre la route.
Plus légers que les vélos des systèmes ordinaires, les deux roues « dockless » sont aussi plus fragiles. Sans point d’attache fixe, ils sont en outre des proies faciles pour le vol et la dégradation. Plusieurs opérateurs y ont d’ailleurs laissé quelques rayons. Les difficultés financières que ces mutilations volontaires impliquent sont si importantes que Gobee.bike a dû stopper ses activités à Lille après seulement quelques mois d’existence. Puis de même à Paris, Reims, Lyon, Florence, Rome, Bruxelles… et dans toutes les autres villes européennes dans lesquelles le service était implanté. Dans les rues de ces villes trainent encore les carcasses de certains de leurs vélos. Leurs systèmes de localisation réduits en poussière par un farouche opposant aux modes actifs, on les retrouve fatigués, parfois sans selle ni roue avant/arrière. Au mieux, la petite reine déchue aura été maquillée, et continuera d’accomplir son rôle sous le sceau du secret.
Répondant à un vrai besoin de mobilité au cœur des agglomérations, le vélo en libre-service sans borne complète l’offre déjà disponible et la concurrence en partie. Pour les collectivités ne disposant pas d’un système à bornes, il présente des atouts : diversification de l’offre en mobilité, absence de frais d’investissement, simplicité et rapidité de mise en place. Pour toutes, il engendre des désordres urbains et des coûts cachés, en particulier liés à l’occupation de l’espace public et à la délinquance.
L’utilisation du service légitime progressivement son existence dans les villes et les opérateurs doivent persévérer pour faire partie de la révolution des mobilités en cours. Toutefois, sa pérennité pose la question de son déploiement anarchique et de son modèle économique. Dorénavant, les opérateurs devront mieux prendre en compte le contexte et procéder à quelques ajustements, matériels et organisationnels.
Damien Mathieu