Vivrons-nous bientôt six pieds sous terre ?
Alors que les lauréats de l’Appel à projet « Réinventer les dessous de Paris » viennent d’être désignés, le devenir des espaces souterrains semble désormais revenir aux mains des urbanistes. Véritable renouveau dans les pratiques de l’urbanisme, promesse d’un développement plus durable de nos villes, ou utopie urbaine ?
De la nature de l’utilisation urbaine de nos sous-sols
Les dessous de nos villes sont, en règle générale, réservés aux réseaux de télécommunications, d’assainissement ou encore d’énergie. Pour des questions d’accessibilité, ils sont le plus souvent alignés sur la trame viaire et se réduisent à une fonction technique. Le développement d’infrastructures de transports en sous-sol s’inscrit dans cette logique, permettant une efficacité accrue du système, dans un contexte de congestion des voies de surface.
A ce développement, peuvent être associés les prémices d’un urbanisme souterrain contemporain, exemple en est du forum des Halles : associé à un pôle d’échanges, le centre commercial et le pôle d’équipements culturels se veulent une « cathédrale » enterrée, idéalement située pour les usagers des transports en commun.
Pourquoi investir nos tréfonds urbains ?
Le caractère durable des projets souterrains, en évitant la consommation d’espace naturel ou agricole, est un argument largement avancé aujourd’hui. La valorisation foncière, publique ou privée en est également un. Au Canada, RESO, réseau piétonnier de plus de 30 km traversant la ville, a été développé en partenariat entre la ville et le privé. La réalisation de centres commerciaux souterrains et la liaison directe des immeubles d’habitation au réseau ont permis de financer la création du réseau de transport en commun.
Valoriser un espace souterrain vacant est aussi une motivation dans un contexte d’extrême tension foncière. En témoignent les projets de transformation des parkings souterrains, d’un immeuble locatif social en plein Paris, devenus une ferme urbaine[1].
Enfin, l’urbanisme souterrain offre l’avantage de libérer potentiellement de l’espace en surface. L’architecte français Dominique Perrault est spécialiste de la réalisation d’équipements souterrains permettant de valoriser l’espace extérieur, avec par exemple la réalisation de l’Université d’Ewha à Séoul. L’enfouissement des bâtiments, dans le respect de la topographie des lieux, a permis de faire de l’infrastructure un parc urbain et d’inscrire l’ensemble dans le paysage.
Quels freins et quelles limites au développement d’un urbanisme souterrain ?
Si investir le sous-sol semble à première vue une opportunité, différents freins et limites questionnent son développement. D’abord, celui du coût de l’aménagement, environ 1,5 à 2 fois plus cher que pour le même projet en surface. Dans l’hexagone, où la propriété du sol entraîne celle du sous-sol, la mise en œuvre des projets est également très complexe.
Se pose aussi la question de la qualité des espaces souterrains. Ils conservent souvent une image d’espace de relégation, peuvent provoquer un sentiment d’insécurité et restent des espaces cloisonnés, dans lesquels il faut entrer et sortir par une circulation verticale, avec un temps de plus en plus long pour rejoindre l’extérieur à mesure que l’on urbanise plus profondément. Contrairement à la rue, ce sont également des lieux qui peuvent être fermés, notamment la nuit, provoquant des coupures au sein de l’espace urbain.
L’argument même du développement durable pour prôner un urbanisme souterrain est discutable : utilisation de l’air conditionné en permanence, impacts sur le régime des nappes aquifères, risques d’inondation accrus, absence de lumière naturelle… Si des innovations émergent, telles que le parc urbain souterrain à New York (avec transport de la lumière par fibre optique), le risque d’un urbanisme souterrain est celui de la coupure avec notre environnement immédiat et avec la nature.
Peut-on véritablement parler d’un urbanisme souterrain ?
Les espaces souterrains restent pour la plupart une annexe technique de la surface, réservée aux flux et aux réseaux. Ils sont encore peu reliés entre eux, même si des ébauches de planification souterraine émergent, comme à Helsinki ou Singapour. L’enjeu aujourd’hui est de créer l’interconnexion entre les espaces souterrains existants, selon la métaphore de la mangrove urbaine[2].
Nous sommes donc encore loin d’un véritable modèle d’urbanisme souterrain. Ces espaces sont encore largement délaissés par les acteurs de l’aménagement urbain, au profit des gestionnaires d’infrastructures et au gré des projets d’initiative privée. Force est de constater que si des projets existent ou ont déjà été réalisés, il y a aménagement de nos sous-sols sans que l’on puisse parler d’urbanisme souterrain.
Pauline Marchal
[1] http://www.lemonde.fr/economie/portfolio/2017/11/24/sous-les-hlm-de-la-chapelle-a-paris-une-ferme-bio-dans-un-parking-souterrain_5219582_3234.html
[2]David Mangin et Marion Girodo, Mangroves urbaines, éd. La Découverte, 2016