Manifeste pour une autre politique de l’habitat
25% de logements produits « en trop » entre 2006 et 2011, c’est l’un des constats du Manifeste pour une autre politique de l’habitat dans les territoires dits « détendus » (1). A l’initiative des cinq associations régionales HLM d’Auvergne, de Bourgogne, de Champagne-Ardenne, de Franche-Comté et de Lorraine, Codra, associé à Soft Report (2), a questionné les conséquences du recul industriel et démographique sur les marchés de l’habitat de certains territoires et in fine, sur la stratégie à mettre en œuvre par les organismes HLM de ces Régions.
Des territoires fragilisés que la notion de « tension » ne permet pas d’appréhender de façon opérationnelle et durable
A travers ces analyses, c’est la pertinence même de la « tension » comme critère discriminant et fondateur des politiques du logement qui est remise en cause, ne rendant pas suffisamment compte de la diversité des situations et ne permettant pas non plus des actions réellement différenciées selon les territoires.
L’évolution de la répartition des emplois et des structures des ménages induit de nouveaux besoins, comme ailleurs. Or, le recours à ce critère, non opératoire, masque l’existence de besoins en logements pour les publics fragiles dans ces territoires dits « détendus ». Il gomme aussi la complexitédes situations avec, au cœur de ces territoires, des situations de forte tension du parc social, à l’instar de la métropole clermontoise.
Bizarrement, il n’empêche pas l’application relativement uniforme d’une politique nationale du logement (soutien à l’accession, défiscalisation pour l’investissement locatif, ANRU (3), Plan de cohésion sociale, plan de relance, etc.) aux effets pourtant délétères sur ces territoires fragilisés.
A quoi sert la production neuve dans les cinq Régions du Manifeste ?
La surproduction, de l’ordre de 25% des logements construits entre 2006 et 2011, sature les marchés immobiliers en empêchant une régulation par les prix ou la rareté de l’offre. Conséquence de cette saturation de l’offre, l’augmentation de la vacance constitue l’un des marqueurs les plus visibles du dérèglement des marchés. Sur les cinq régions étudiées, elle a connu une hausse de 30% entre 2006 et 2011.
Vacance croissante, obsolescence accélérée du parc ancien… ces déséquilibres remettent en cause la pérennité des revenus locatifs du bailleur. Le Manifeste a introduit ainsi la notion de récurrence des revenus comme un des facteurs descriptifs des territoires détendus. Au demeurant, des investissements seront nécessaires pour faire évoluer un parc social en décalage avec la demande actuelle des ménages (mal placé, inconfortable, en collectif, etc.). Face à une concurrence exacerbée par l’affaissement des prix de tous les segments de marché privés (locatif et accession), les organismes doivent réagir en prenant les décisions qui s’imposent en termes de mise à niveau du parc. La question de la démolition est largement posée, évidemment, et devient une option à mesurer précisément à l’aune de la récurrence des retours sur investissements consentis en cas d’amélioration.
Territorialiser la politique du logement et renouveler le cadre réglementaire
Ces analyses, alliées aux remontées de terrain, esquissent des priorités d’actions, dans la logique d’interpellation du Manifeste : concentration des moyens sur l’adaptation du parc existant, inscription des stratégies des bailleurs dans une planification partagée et de long terme à l’échelon local, amélioration de la qualité de service à une diversité croissante de publics, conservation de loyers accessibles à travers un assouplissement des normes et des modes de faire, développement de nouvelles réponses d’habitat.
Derrière ces préconisations, s’affiche en fil d’Ari
ane la nécessité de renouveler l’approche de ces territoires, où les Régions pourraient jouer un nouveau rôle en modulant les orientations nationales, étant mieux à même de mesurer les interactions à valoriser entre leurs métropoles et les autres territoires : que les relations se complètent plutôt que de se confronter.
Des échos médiatiques à la mise en œuvre, un chemin encore long
Constat partagé au sein du mouvement HLM, la territorialisation de la politique du logement est aussi régulièrement évoquée dans les annonces ministérielles. « J’estime que l’action publique doit être menée au plus près du terrain, en s’adaptant aux spécificités des bassins de vie et aux besoins de nos concitoyens. C’est particulièrement vrai en matière de politique de l’habitat. Elle requiert des réponses différenciées. Dans les zones tendues, le problème principal reste la pénurie d’offre de logements. Dans les zones détendues, l’enjeu est plus celui de la réhabilitation et de la revitalisation des cœurs de villes et des centre-bourgs. » (4) expliquait récemment la Ministre du logement Madame Pinel.
Pourtant, dans le même mois, le Président de la République annonçait l’élargissement du champ d’application du PTZ (5) pour que « la quasi-totalité du pays » (6) soit concernée. Connaissant désormais les effets déstabilisants de la construction neuve en individuel sur les marchés immobiliers locaux des territoires dits « détendus », cette décision univoque révèle le chemin à parcourir pour impulser un changement réel de la conduite des politiques de l’habitat en France.
Marie Mondain et Cécile Bouclet