Comment Strasbourg est devenue la capitale française du vélo
Strasbourg est reconnue comme la ville la plus cyclable de France, grâce aux bonnes conditions de pratique du vélo et à la forte utilisation de ce mode, notamment par rapport aux autres agglomérations françaises. Comment a-t-elle atteint cette position privilégiée ? Est-ce une question d’implication citoyenne, de volonté politique, de culture vélo, d’aménagement urbain ou d’une combinaison de ces facteurs ? Cet article retrace l’histoire récente du développement du vélo à Strasbourg, pour mieux comprendre les facteurs qui expliquent cette réussite.
Une utilisation du vélo beaucoup plus élevée que dans les autres agglomérations françaises
Dans la Métropole de Strasbourg, 11% des déplacements sont réalisés à vélo (contre 1% à Metz, 2% en Ile-de-France, Lille et Lyon, 3% à Nantes et Bordeaux). L’utilisation du vélo a presque doublé entre 2009 et 2019, mais elle varie fortement selon les secteurs. En effet, elle est beaucoup plus élevée dans la ville de Strasbourg (15% en 2019) et dans la première couronne (13% en 2019) que dans la deuxième couronne (7% en 2019).
Les résultats de l’Enquête Mobilité 2019 montrent que Strasbourg dispose encore d’un potentiel important de croissance du vélo. En effet, 30% des déplacements courts (inférieurs à 5 km) restent réalisés en voiture. Selon l’Agence d’Urbanisme (ADEUS), la moitié de ces déplacements pourraient être effectués à vélo. Cette analyse a permis de définir l’objectif du plan vélo de 2019 : une part modale de 16% en 2030 (+ 5 points en 10 ans).
La mobilisation citoyenne, un déclencheur de changement
Le Comité d’Action Deux Roues 67 (CADR 67) a vu le jour en 1975, en réaction aux nombreux accidents impliquant des vélos, afin de demander des infrastructures plus sûres et une meilleure intégration des cyclistes dans la voirie. A travers diverses actions emblématiques, telles que des manifestations à vélo dans le centre-ville, CADR 67 a donné une visibilité aux cyclistes et a mis en évidence le déséquilibre de l’espace en leur défaveur. Cette association a aussi organisé un voyage d’études aux Pays-Bas à la fin des années 1970, permettant aux représentants de la ville de découvrir des pratiques exemplaires et d’envisager leur mise en œuvre à Strasbourg. Au fil du temps, les membres du CADR 67 ont acquis une expertise sur les aménagements cyclables et ont apporté des contributions très utiles aux projets de voirie. En exerçant un lobbying constant auprès des collectivités dans les décisions liées à la mobilité, CADR 67 a joué un rôle crucial dans la construction d’une ville plus cyclable.
Le tramway en tant qu’outil de transformation du centre-ville
Dans la période d’après-guerre (1950-1970), Strasbourg s’est rapidement transformée pour répondre aux besoins de la voiture, considérée comme un symbole de modernité. En même temps, l’offre de transports collectifs a été progressivement démantelée. Le réseau de tramway a été supprimé, tandis que le réseau de bus s’est peu a peu dégradé, entraînant une forte baisse de la fréquentation. En destinant une grande partie de l’espace urbain à la circulation automobile, cette politique a eu des impacts négatifs sur les conditions de pratique du vélo.
Dans les années 1980, constatant les limites de cette politique, les autorités ont décidé d’inverser la tendance en développant un réseau de tramway. La première ligne a été inaugurée en 1994 et cinq lignes supplémentaires ont été construites depuis. Cette action s’inscrivait dans une stratégie globale de mobilité, visant à améliorer l’attractivité du centre-ville. En effet, en parallèle, un nouveau plan de circulation a été instauré, pour empêcher le trafic de transit, tandis que le centre historique a été piétonnisé et des pistes cyclables construites le long des lignes de tramway. En fin de compte, les conditions de déplacement des vélos et des piétons ont été fortement améliorées.
Le tramway de Strasbourg a été conçu non seulement comme un moyen pour transporter des personnes, mais aussi comme un outil pour transformer l’espace public. Mise en œuvre pour la première fois à Strasbourg, cette stratégie a depuis été appliquée dans plusieurs villes françaises, telles que Lyon, Nantes et Bordeaux.
Un réseau cyclable continu pour les longs trajets, toujours en développement
Depuis son premier schéma cyclable en 1978, Strasbourg a progressivement façonné le réseau cyclable le plus dense de France avec 700 km de pistes cyclables. Les premiers aménagements cyclables ont été réalisés le long des cours d’eau et des grands axes routiers, en proche banlieue, permettant d’accéder au centre-ville à vélo. Néanmoins, malgré la volonté de développer un réseau cyclable à l’échelle de la métropole, la plupart de ces aménagements n’ont pas vu le jour, en raison des réticences des élus locaux, conduisant à l’apparition de nombreuses discontinuités. L’absence d’un réseau continu en périphérie de Strasbourg pourrait expliquer la plus faible utilisation du vélo dans ce secteur aujourd’hui.
Dans les années 2000, la Métropole a planifié un réseau vélo express au niveau métropolitain, appelé « Vélostras », composé de 12 itinéraires structurants pour les déplacements de longue distance (130 km au total). En plus d’offrir des liaisons directes entre les communes, ces itinéraires répondent à des critères d’aménagement qualitatifs, garantissant un bon niveau de confort et de sécurité. Le réseau Vélostras devrait contribuer à développer l’usage du vélo pour les déplacements de longue distance, tout en réduisant l’utilisation de la voiture.
Strasbourg a également su faire preuve d’une approche innovante en termes de politique cyclable. Elle a été la première à expérimenter le double-sens cyclable et la « vélorue », qui ont été ensuite généralisés dans la ville et introduits dans la législation nationale. De plus, la Métropole a lancé un « Code de la rue » en 2008, afin d’apaiser la circulation et de favoriser les modes actifs. Selon ce Code, lors des réaménagements de voirie, les communes doivent consacrer la moitié de l’emprise (au moins) aux modes actifs. L’audace de Strasbourg a payé : elle a contribué à transformer les approches d’aménagement et à améliorer la sécurité routière.
Au-delà des infrastructures, la mise en place d’un « système vélo »
En complément des aménagements cyclables, Strasbourg a développé un panel de mesures en faveur du vélo comprenant des parkings, notamment aux abords de la gare centrale et des autres pôles d’échanges, un service de location de vélos, une Maison du Vélo proposant des services d’information et de réparation, un programme de formation pour adultes et enfants, ainsi que des campagnes de sensibilisation, tels que le challenge annuel «Au boulot à vélo» encourageant les salariés strasbourgeois à se déplacer à vélo pendant une semaine.
Comment Strasbourg peut-elle rester la capitale du vélo à l’avenir ?
Depuis plus de 40 ans, grâce au leadership des citoyens et des élus, Strasbourg met en œuvre une stratégie soutenue, ambitieuse et innovante pour la construction d’un territoire cyclable. Aucune autre agglomération française n’a mené une politique aussi persistante et cohérente en faveur du vélo. Cette stratégie est étroitement associée aux mesures concernant les autres modes de déplacements. En effet, c’est le retour du tramway qui a permis un apaisement et une réduction de la circulation puis, in fine, une réintroduction du vélo à Strasbourg.
Tout n’est cependant pas parfait à Strasbourg pour les cyclistes. En effet, tandis que le cœur urbain accueille une pratique du vélo très importante, la périphérie se caractérise par une pratique beaucoup plus faible. De plus, si la part du vélo reste très supérieure à celles des autres agglomérations françaises, elle est faible par rapport aux champions européens (Amsterdam, Copenhague…). Comment expliquer de tels écarts ?
L’absence d’un réseau cyclable complet à l’échelle métropolitaine constitue certainement le premier point faible. Le développement du réseau Vélostras devrait remédier à cette difficulté. La deuxième faiblesse est liée à l’aménagement du territoire. En effet, la périphérie s’est développée à travers un modèle de faible densité et de séparation des fonctions, favorisant l’usage de la voiture au détriment du vélo. A présent, la Métropole développe une stratégie territoriale visant à renforcer l’accessibilité aux services et la proximité des destinations, ce qui pourrait se traduire par un renouveau du vélo dans les espaces périphériques.
Le développement du vélo dans le cœur urbain, étape la plus « simple » de la politique cyclable, a déjà été largement mis en œuvre. A l’heure actuelle, si Strasbourg veut rester la capitale du vélo en France, en se rapprochant des pratiques constatées dans d’autres villes européennes, elle devra mettre en œuvre une stratégie d’urbanisme conforme à son ambition. Dans les années à venir, la « concurrence » sera rude et nous nous en réjouissons…
Pablo Carreras
Bibliographie
Delattre, G. (2018). Strasbourg, capitale du vélo. Vadémécum Editions, 2018.
Héran, F. (2011). Comment Strasbourg est devenue la première ville cyclable de France. CLERSE, Juin 2011.
Marrec, S. (2017). Vers des écosystèmes cyclables à l’échelle métropolitaine. Mémoire de recherche, Master « Urbanisme et Aménagement », Université Rennes 2, 2017.
En selle ! Du vélocipède au Vélhop, Eurométropole de Strasbourg, 2013.
Enquête Mobilité 2019, Résultats essentiels, ADEUS, Décembre 2019.
Plan d’Actions pour des Mobilités Actives, Eurométropole de Strasbourg, Mars 2019.