Il existe de très bonnes recettes de dévitalisation. Certains acteurs politiques et économiques de villes et villages les revisitent au quotidien avec toujours plus d’audace et d’imagination. Olivier Razemon nous en a livré quelques illustrations s’agissant du commerce, dans son ouvrage « Comment la France a tué ses villes »[1]. Ces recettes prennent toutes appui sur une base commune : « la peur de manquer », philosophie construite progressivement en réponse aux traumatismes socioéconomiques de la 2nde guerre mondiale et des années qui suivirent. Mieux vaut gaspiller que manquer. Cette intention consumériste, qui se perpétue depuis, nous tue. Elle déstabilise aussi les territoires en y organisant des concurrences nocives, engageant par exemple une consommation irraisonnée d’espace, déstabilisant les structures socio-économiques et socio-spatiales.

A l’opposé, les recettes de revitalisation n’existent pas. C’est une création à chaque fois, une nouvelle composition où l‘improvisation, la spontanéité et l’innovation trouvent aussi leur place. Il n’y a pas de base commune en dehors de l’incontournable diagnostic partagé. « J’ai compris, nous sommes en dévitalisation… maintenant que fait-on ? Quels projets pour le centre ? ». J’ai souvent eu l’occasion d’entendre ces remarques. Cependant, il ne suffit pas de prendre acte de la dévitalisation pour que cela change. Prendre acte est le premier pas, nécessaire bien entendu mais inutile si l’on sert toujours les mêmes plats. C’est un changement de paradigme qui est nécessaire et il concerne tous les acteurs du développement et de l’aménagement.

L59_urb_1L’échelle de réflexion ne saurait être communale ou sectorielle. Le processus de délaissement d’un centre est toujours lié à des actions périphériques fortes et à des actions centrales plus faibles. Le niveau de contrainte n’est en effet pas le même et alors que les temps de l’aménagement sont très longs en centre urbanisé, ils sont plutôt réduits en périphérie expansionniste. Il y aurait donc urgence à se donner les moyens d’agir là où les stratégies territoriales échouent. A quand une procédure intégrée pour la revitalisation stimulant les moyens d’intervention en centre ayant aussi des effets tranquillisants en périphérie ?

Les professionnels doivent verser dans le réalisme et sortir du confort des chiffres oniriques. Oui, nous avons encore constaté cette année que certains se refusaient à proposer et à argumenter des scénarios de décroissance démographique dans des territoires ou l’on perd de la population depuis plus d’une décennie, voire deux. Cela serait-il irrecevable ? Les conséquences sont souvent dramatiques : projections irréalistes, donc besoins théoriques irréalistes, donc justification de consommation foncière tous azimuts ! Et l’une des meilleures recettes de dévitalisation fait succès.

Les contextes évoluent lentement dans les territoires en déprise, les images changent aussi difficilement. Malgré tout, certains prétendent apporter des réponses immédiates au processus de dévitalisation… des réponses financières. Mais l’opulence pécuniaire consentie ne changera rien aux contextes. Les annonceurs de bonnes nouvelles en euros perturbent souvent la donne : « Sachez Monsieur le Maire que l’on peut financer des projets à 80%. ». « C’est bien cet équipement qu’il nous faut puisqu’il est financé. » Les logiques de guichet et de catalogue resteront de mise tant qu’il faudra cocher des cases et satisfaire les strates administratives.

On mobilise donc quelques milliards pour la revitalisation tout en soutenant ardemment l’hypermétropolisation, en partie responsable de la fragilisation des contextes ruraux et de celui des villes moyennes. Prend-on vraiment la mesure des vases communicants ?

De nombreux cadres franciliens aimeraient quitter rapidement l’Ile-de-France[2] pour habiter dans les séduisantes métropoles régionales, ces dernières faisant déjà fuir leurs propres résidents (souvent vers la périphérie) par l’augmentation des prix que cela entraine… Dans ce contexte de métropolisation subie plus que désirée, des villes moyennes et certains bourgs ruraux pourraient devenir attractifs à moyen-long terme. Leurs composantes écologiques étant souvent meilleures, ces territoires sont appelés à se revitaliser de facto pour peu que les conditions locales préalables à la revitalisation aient été mises en place par la réflexion, avec frugalité pour ne pas obérer l’avenir, et non calquées sur des modèles financiers imposant « de faire aujourd’hui ». Il n’y a pas de raison d’être pressé de dépenser les deniers publics. Pour éviter l’inconséquence, il y a d’abord urgence à bannir toute précipitation ainsi qu’à s’affranchir des échéances éphémères à 18 ou 36 mois.

David LIZION


 

[1] Rue de l’Echiquier, 2016, 192 p.

[2] Selon une enquête de Cadremploi.fr publiée fin août 2018