Le lotissement dans tous ses états
Marqueur de notre époque et objet de fantasmes, le pavillonnaire inspire la fiction, de la série Desperate Housewives aux romans de Sophie Divry[1], Rachel Cusk[2] ou encore Olivier Adam[3] pour n’en citer que quelques-uns. Le dernier ouvrage de Fanny Taillandier, « Les états et empires du Lotissement Grand Siècle », est une fiction dans laquelle notre civilisation a disparu. Les hommes, redevenus nomades, parcourent le territoire, les vestiges de nos lotissements devenant leurs lieux de halte et le sujet de leurs interrogations pour tenter de reconstituer un mode de vie et une organisation sociale révolus. Sa lecture donne envie de questionner à nouveau (encore et toujours direz-vous !) ce modèle pavillonnaire et ses futurs.
Bien que décrié depuis longtemps par différents corps de métiers, dont les urbanistes, le modèle pavillonnaire continue de prospérer, plébiscité par les ménages. L’acquisition d’un logement individuel neuf reste en effet un idéal autant qu’un symbole, très souvent réalisé en lotissement, toujours remis au goût du jour. Ne voyons-nous pas fleurir les éco-lotissements désormais ?
En tant qu’urbaniste et conseil aux élus locaux, cette longévité du lotissement peut démunir. Il nous semble avoir largement alerté sur les limites de ce type de développement, qu’il s’agisse de la consommation foncière, de la monotonie des formes urbaines, de l’accroissement des déplacements motorisés… et les élus eux-mêmes sont régulièrement confrontés aux problématiques accompagnant ce type de développement. Surtout, les difficultés sont sans doute devant, notamment en termes d’évolutions urbaines.
En effet, si les années 2000 et 2010 ont été celles de la rénovation des grands ensembles construits à partir des années 1960, il y a fort à parier que les années 2020 seront celles du recyclage pavillonnaire, d’une complexité plus grande que la rénovation des banlieues, en premier lieu du fait de la multiplicité des propriétaires.
Jusqu’à maintenant, la mutation pavillonnaire a consisté en une densification du tissu lorsque le marché était porteur et que les conditions (superficie, règlement de copropriété…) le permettaient. Promotion du modèle Bimby[4], assouplissement des règles pour faciliter les divisions parcellaires, telle est aujourd’hui la voie de l’évolution du tissu pavillonnaire.
Mais quel(s) avenir(s) pour les lotissements dans les territoires en perte d’attractivité ? Ceux-ci sont déjà confrontés aux difficultés des centres-bourgs et des centres-villes, justement concurrencés par la création de ces fameux lotissements, qui satisfont les désirs des ménages d’un habitat individuel à moindre coût. Mais, au temps de l’obsolescence programmée, les pavillons 2000 risquent fort de ne plus séduire les acquéreurs potentiels dans quelques années, d’autant plus si l’idéal de la construction individuelle neuve se poursuit. Alors, toujours plus de pavillons, toujours plus loin, desservis par des voitures autonomes et propres, est-ce là la prochaine étape du renouvellement du modèle ? Mais en parallèle, il faudra bien s’attaquer au recyclage des lotissements démodés et démonétisés.
Faire preuve d’innovation pour envisager leur reconquête, leur mutation de même que contribuer à l’émergence d’un autre modèle d’habiter et de vivre la ville, sont deux axes majeurs de notre métier, d’aujourd’hui et de demain. En effet, la fin du lotissement n’est, en soi, pas réaliste tant qu’un autre modèle global d’habiter la Terre et la ville, permettant de faire accepter la condition urbaine des générations actuelles et futures, n’émerge pas.
Claire Philippe
[1] « La condition pavillonnaire »
[2] Arlington Park, adapté au cinéma sous le titre « La vie domestique »
[3] « Les lisières »
[4] Build In My BackYard