Tempêtes, orages, épisodes pluvieux… liés ou non au changement climatique, les phénomènes météorologiques violents se multiplient, entrainant des inondations. Ces dernières, avec en premier lieu la tempête Xynthia, ont causé depuis 2010, plus de 50 morts en France[1]. Les professionnels comme la population prennent conscience de ce danger qui cause aussi des dégâts matériels et peut paralyser tout ou partie de villes, comme ce fut le cas en juin 2016 en Ile-de-France, et plus largement en Europe. Dans ces conditions, l’eau apparait comme un ennemi qu’il faut combattre ou éloigner des espaces habités.

Dès les années soixante, suite à la « grande inondation » du 14 octobre 1957, la ville de Valence en Espagne s’intéresse à la question et dévie le Turia qui la traverse.

Longtemps laissé à l’abandon, l’ancien lit du fleuve fait l’objet d’un projet ambitieux au début des années 1990 : ses neuf kilomètres de long sont réinvestis pour créer une succession de parcs et jardins publics mais aussi des équipements (aires de jeux, terrains de sports, Cité des Arts et des Sciences…). Véritable poumon vert au cœur de la ville, cet espace majeur de détente, de loisirs et de promenades, offre aujourd’hui aux valenciens de nombreux cheminements pour les modes actifs.

Après des travaux colossaux, ce site est donc devenu un lieu de référence attractif et une plus-value pour la ville, mais l’on peut s’interroger sur la radicalité du geste qui a consisté à évacuer totalement l’eau des espaces urbains centraux.

Cet exemple témoigne du rapport ambigu que l’homme entretient avec l’eau : il s’installe stratégiquement à proximité mais l’appréhende d’abord dans une logique fonctionnelle. Il la contraint, l’efface du paysage des villes et pense maîtriser le risque.

Dans les années 1980, face à d’importantes inondations, on renforce en France la réglementation pour mettre à distance le danger, y compris en limitant l’occupation des sols en zones inondables.[2] Mais contestée et sous l’effet de la pression foncière, cette vision réglementaire est contrebalancée depuis quelques années par une logique d’adaptation des espaces urbanisés aux inondations. Cette approche est traduite par le concept d’urbanisme résilient[3].

On voit ainsi émerger des projets qui composent avec la présence de l’eau et du risque d’inondation, et qui ne s’opposent plus à eux. En milieu urbain dense, suite aux pluies torrentielles de juillet 2011, la ville de Copenhague décide de lancer un « plan climat ». Son objectif consiste à ne pas dépasser 10 cm d’eau dans les rues lors d’une pluie centennale tout en anticipant une augmentation des pluies de 40%. L’agence Dreiseilt cherche à optimiser les potentiels de rétention dans le bassin versant central. Pour cela, elle renforce la trame verte et bleue de la ville grâce à un parc urbain inondable qui augmente les capacités de stockage du lac « Sankt Jorgens So » et redessine totalement les profils viaires, avec un concept appelé « boulevard de rétention ». Plus de 75 km de rues plantées intègrent des points de récupération permettant d’évacuer ou de concentrer les eaux. Le projet apporte de la nature en ville et modifie l’atmosphère et l’ambiance des espaces publics. Il améliore le paysage urbain, le cadre de vie, et la qualité environnementale tout en réduisant les risques d’inondation.

En milieu périurbain, les ZAC[4] en extension des « Portes de la forêt » à Bois-Guillaume (76), implantée près d’un talweg, et des Rives du Blosne à Chantepie (35) en partie en zone inondable, ont su tirer parti de leur situation. Toutes deux ont organisé les espaces bâtis autour de vastes espaces paysagers intégrant des fonctions hydrauliques. On y retrouve des bassins, des noues, des systèmes de récupération des eaux de pluie… L’imperméabilisation des sols est limitée. Les eaux de pluie sont stockées, ralenties et restituées au milieu naturel, limitant les risques d’inondation sur place ou en aval. Les espaces verts favorisent le respect de la nature et de la biodiversité. Les habitants peuvent s’approprier ces lieux de vie récréatifs aux usages diversifiés.

Un concept de « jardins de pluies » a également émergé aux Etats-Unis et en Australie dans des régions où les précipitations nécessitent une gestion attentive. Dans les espaces urbanisés, il prône la mise en œuvre de projets d’aménagement paysager pragmatiques, alternatifs aux bassins d’orages et aux réseaux enterrés, favorisant l’infiltration et le retour au cycle naturel de l’eau. Il a été appliqué à la place Lucie Aubrac à Saint-Martin-d’Hères pour gérer sur site les eaux pluviales. Il en résulte une place minérale ponctuée d’îles végétales, qui collectent et infiltrent l’eau. Ces jardinets, qui procurent rafraichissement et ombrage, apportent une identité forte et un confort à l’espace public.

Si l’eau a été exclue dans le projet de Valence, d’autres exemples, en posant un regard différent sur le risque, montrent qu’une harmonie est possible entre l’eau et les espaces urbains. Les aménagements qualitatifs qu’ils proposent dépassent la dimension purement technique de protection pour constituer des quartiers qualitatifs intégrant des valeurs paysagères, esthétiques, environnementales et d’usages. Au-delà de la contrainte, l’eau devient un atout.

Lucille Leday


[1] « Sensibiliser le public aux inondations en bande dessinée », Géomatique Expert n°119, novembre-décembre 2017.
[2] Loi du 13 juillet 1982 traitant des plans d’exposition aux risques, puis loi Barnier et le décret relatif aux Plans de Prévention des Risques qui renforcent la maîtrise de l’aménagement en 1995.
[3] « La résilience renvoie à la capacité d’un système à assurer un retour à la normale à la suite d’une perturbation. C’est la ville qui s’adapte aux évènements d’inondations et non l’eau qui est maitrisée pour l’essor de la ville », Mathilde Gralepois et Sofia Guevara.
[4] Zones d’Aménagement Concerté