La Bibliothèque Nationale de France consacre une grande exposition[1] (160 photographes, un millier de tirages exposés) aux paysages français, photographiés dans le cadre de différentes commandes publiques et privées. Passionnante, cette exposition l’est à bien des égards et permet en particulier d’illustrer et poursuivre les réflexions que nous avons pu avoir dans la précédente lettre à l’occasion des quarante ans de CODRA. La construction de l’exposition permet en effet aux urbanistes, géographes, aménageurs autant qu’aux photographes et artistes de questionner leur rapport aux territoires et de regarder dans le rétroviseur leur pratique professionnelle.

Les mutations de la commande publiqueL57_hab_1

La « mission photographique de la DATAR[2] » est lancée en 1984, avec pour objectif de « représenter le paysage français des années 1980 ». Il s’agit de recréer une culture du paysage, croisant démarche artistique et approche documentaire. 29 photographes[3] sont missionnés jusqu’en 1989. Le relais est ensuite pris par la mission photographique du Conservatoire du Littoral et l’observatoire photographique national du paysage au cours des années 1990. Au fil du temps, la commande publique se diversifie, se particularise aussi et se politise, à l’instar des travaux de Bar Floréal, collectif de photographes né dans les années 1970, sur la fermeture des usines sidérurgiques en Lorraine. L’exposition rend compte de la diversification des approches et des regards dans le temps et en cela, fait écho à l’évolution de la commande publique dans notre métier, autrefois tributaires des projets d’Etat et désormais beaucoup plus protéiforme.

L’Homme en question

A l’occasion des quarante ans de CODRA, nous évoquions également la place croissante des habitants dans la définition des projets urbains et stratégies d’aménagement. Cette exposition aussi met en lumière ce rapport complexe de l’homme au paysage, au territoire et à la photographie. Dans les premiers travaux, le photographe cherche à rendre compte des paysages et des évolutions du territoire. Il est un témoin de la force de la nature et des mutations urbaines et spatiales sous l’effet de l’homme. Mais celui-ci est peu photographié. A partir des années 1990, la photographie se fait plus politique, relayant des sujets de sociétés : bidonvilles, migrants, travail, fermeture des mines et ses conséquences socio-spatiales… Enfin, dans les années 2000, l’individu devient objet photographique et le paysage un support, un décor. Dans les travaux du collectif « France territoires liquides », on est loin de l’approche documentaire des premières commandes, avec une mise en scène dans le paysage voire une modification de la photographie (surimpression, peinture sur la photographie…), jusqu’à un effacement du réel au profit du fictionnel.

Cette exposition est une belle occasion pour prendre du recul sur notre propre approche du territoire et son avenir : comment l’aménager encore et toujours ? Comment le partager et le protéger ?

Claire Philippe

 


[1] Paysages Français, une aventure photographique 1984-2017, BNF jusqu’au 4 février 2018
[2] Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale
[3] Depardon, Doisneau…